Mascotte de Paris 2024 : aux origines du bonnet phrygien

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Mascotte de Paris 2024 : aux origines du bonnet phrygien

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Le bonnet phrygien de La Liberté guidant le peuple a bien changé.
Le bonnet phrygien de La Liberté guidant le peuple a bien changé.

Les mascottes de Paris 2024 peinent encore à convaincre. Les "Phryges", comme elles ont été baptisées, sont une référence au bonnet phrygien, symbole de la Révolution et de la République française. Ce bonnet rouge, à la protubérance recourbée vers l'avant, puise ses origines dans l'Antiquité.

"On cherchait une mascotte qui incarne l’esprit français, qui porte les couleurs du pays, une part de notre histoire", assure Julie Matikhine, directrice de la marque Paris 2024. Bonnets rouges dont les extrémités cache-oreilles tiennent lieu de bras, sourire immaculé et grands yeux bleus terminés par une cocarde, les "Phryges", présentées lundi 14 novembre par le Comité d'organisation des Jeux (Cojop) sont désormais les mascottes officielles des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Les Phryges, les mascottes officielles de Paris 2024.
Les Phryges, les mascottes officielles de Paris 2024.
- Cojop

Traditionnellement, le choix des organisateurs des Jeux olympiques se porte plutôt sur des animaux, facilement déclinables en peluches. Les Phryges, en plus d'être au format peluche, se trouveront certainement en version "bonnet", car elles sont une référence marquée à un des emblèmes de l'histoire de France : le bonnet phrygien.

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Le bonnet de la liberté

Ce bonnet à la forme aisément reconnaissable, avec sa protubérance, est un des emblèmes de la Révolution française : il était un des signes de ralliement des révolutionnaires. Mais l’origine de ce chapeau est bien antérieure au XVIIIe siècle, on en retrouve la trace dès l’Antiquité. Il est alors porté, comme son nom l’indique, par les habitants de la Phrygie, un pays situé en Asie mineure, au centre de ce qui est aujourd’hui la Turquie.

Si lors de la Révolution française, ce bonnet va devenir le symbole de la liberté c’est en réalité à cause… d’un autre bonnet, conique celui-ci, le “pileus”. Lui-aussi date de l’Antiquité, mais il est associé au rite d’affranchissement des esclaves : les Romains en affublaient les hommes au crâne fraîchement rasé auxquels ils souhaitaient rendre leur liberté.

Ces deux bonnets, au XVIIIe siècle, sont souvent représentés dans les milieux cultivés car le mouvement néo-classique, qui prône un retour à l’épure de l’Antique, est à la mode. En Europe, le bonnet phrygien est ainsi utilisé pour “figurer tout personnage historique ou légendaire d’origine orientale ou lié à l’Orient” , précise l’historien Bernard Richard dans son ouvrage Les Emblèmes de la République (CNRS Éditions). Avec la mode du style “étrusque”, on retrouve ainsi des bonnets phrygiens jusque sur les personnages de papiers peints à thème. Quant au “pileus”, “ce bonnet conique blanc apparaît fréquemment dans toute l’Europe connaisseuse de l’iconologie antique ou antiquisante, car il est une représentation canonique de la Liberté”.

Bonnets rouges et rouges bonnets

Mais comment ces deux bonnets ont-ils fusionné en un seul pour devenir le fameux bonnet rouge des sans-culottes, signe de ralliement des révolutionnaires ? “Dans une première phase, de juillet 1789 à février 1792, les participants actifs au mouvement révolutionnaire, pour se reconnaître, portent volontiers la coiffure des pauvres des villes et des campagnes, en particulier la coiffure ordinaire des artisans du faubourg Saint-Antoine de l’Est parisien, le bonnet de laine, généralement tricoté” , écrit Bernard Richard. Les patriotes révolutionnaires sont alors spécifiquement qualifiés de “bonnets de laine”, comme l’écrit un journal parisien après la prise de La Bastille, le 14 juillet 1789 : “Ces braves citoyens du faubourg Saint-Antoine, vulgairement appelés bonnets de laine, s’honorent de cette dénomination glorieuse.” Ces bonnets de laine croisent régulièrement le chemin des fameux bonnets de la liberté, les “pileus”, fichés au bout d’une pique, et de couleur rouge, certainement par souci de visibilité.

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Par contagion, les bonnets de laine usés vont peu à peu devenir des bonnets rouges, portés partout comme un signe de reconnaissance révolutionnaire. Au Club des Jacobins, un des plus célèbres des clubs révolutionnaires de la Révolution française, “l’orateur, le président de séance, les secrétaires et plusieurs participants se coiffent ostensiblement d’un bonnet rouge, au point que le maire de Paris, Pétion, leur rappelle que le seul signe patriotique est la cocarde”. Ce qui ne change rien : le bonnet rouge est devenu un signe de ralliement. Fin mars 1792, quarante soldats suisses du régiment de Châteauvieux, condamnés pour mutinerie et destinés aux galères, sont finalement libérés du bagne de Nancy et rentrent à Paris : ils sont accueillis en héros par une foule de bonnets rouges. “Trois types de bonnets rouges se rencontrent”, raconte Bernard Richard. “Les bonnets rouges-emblèmes plantés sur des piques et sur la tête d’une statue éphémère de la Liberté, les bonnets rouges-coiffures de patriotes venus acclamer les soldats suisses libérés des galères [...], et enfin les bonnets rouges coiffures de galériens que revêtent encore les Suisses eux-mêmes, car le bonnet rouge est, au moins depuis le début du XVIIIe siècle, la coiffure infamante imposée aux galériens.”

Le bonnet de laine est donc devenu bonnet rouge, emblématique de la liberté. Et il est partout. À tel point qu’en juin 1792, lorsque le roi Louis XVI est soupçonné de connivence avec les ennemis autrichiens et prussiens massés aux frontières, la foule l’oblige, lors d’une grande manifestation à Paris, à se coiffer d’un bonnet rouge et à boire “à la santé de la Nation”.

Louis XVI de France portant un bonnet phrygien et buvant à la santé des sans-culottes, en 1792. (Auteur inconnu)
Louis XVI de France portant un bonnet phrygien et buvant à la santé des sans-culottes, en 1792. (Auteur inconnu)

La Marianne et son bonnet

Et le bonnet phrygien alors ? Car le bonnet rouge n’a alors rien du fameux bonnet antique, avec sa protubérance ramenée vers l’avant. Les estampes contemporaines montrent que sa forme est celle de bonnets de laines classiques. “Les bonnets de forme phrygienne, forme plus difficile à réaliser pour un bonnetier, ont dû être réservés à des autorités ou à des personnes aisées souhaitant manifester par cet ornement symbolique leur attachement à la Révolution”, estime l’historien Bernard Richard. Ce qui n’empêche pas la presse de qualifier ces couvre-chefs de l'appellation “bonnet phrygien”.

La confusion est déjà bien présente lorsque, le 22 septembre 1792, un décret officiel proposé par un rapport de l’abbé Grégoire définit le nouveau sceau de la République, en remplacement du sceau du roi. C’est ce décret qui va mettre en place la figure symbolique de la République française, la Marianne, et ce dernier est très clair : “Le sceau de l’État serait changé et porterait pour type la France sous les traits d’une femme vêtue à l’antique, debout, tenant de la main droite une pique surmontée du bonnet phrygien, la gauche appuyée sur un faisceau d’armes ; à ses pieds un gouvernail”. Le bonnet rouge révolutionnaire, dès lors, devient définitivement le “bonnet phrygien”, et sera à jamais associé à la Marianne. Il porte dorénavant, plus encore que l’idée de liberté, les valeurs de la République.

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Un couvre-chef en disgrâce

Au sortir de la Révolution, affublé d’un tout nouveau sens, le bonnet phrygien ne laisse plus indifférent. Le bonnet de la liberté n’est plus seulement une référence savante, identifiée dans les milieux cultivés, mais le symbole de la Révolution et de la République. Il va donc assez naturellement essaimer à travers le monde.

À partir de 1799, après le coup d’État du 18 Brumaire organisé par Napoléon Bonaparte, le bonnet phrygien n’est plus toléré et redevient un symbole de résistance face au pouvoir. Il faudra attendre la Monarchie de Juillet pour que cet emblème s’extirpe de la clandestinité dans laquelle il avait été plongé. Le roi Louis-Philippe, qui tente de réconcilier une France divisée, accepte à nouveau les représentations de la Marianne. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’Eugène Delacroix peint La Liberté guidant le peuple sur les barricades, en 1831… avant de la remiser au placard. Le peintre, politiquement conservateur, est assez peu friand de l’engouement que suscite son œuvre, et craint les foudres de la royauté. Remisé dans les réserves du Louvre, le tableau n’en sortira qu’en 1874, devenant, depuis, la représentation la plus évidente de la Marianne coiffée de son bonnet phrygien.

Un bonnet international

Depuis, le bonnet phrygien fait partie des emblèmes de la République française, au même titre que le drapeau tricolore, la Marseillaise ou encore le coq. Il essaimera, pourtant, ailleurs qu’en France, et notamment aux États-Unis : lors de la guerre d’Indépendance, qui précède pourtant la Révolution française, on en trouve déjà des représentations (dans sa forme “pileus”) coiffant l’allégorie de la Liberté américaine, avant que ce symbole ne soit supplanté par d’autres. On en retrouve trace, aujourd’hui encore, sur le drapeau de l’Etat de New York, enfoncé sur une pique tenue par la déesse de la liberté.

Le drapeau de l'État de New York  : à gauche, la déesse de la liberté, porte une lance surmontée d'un bonnet phrygien, à droite la déesse de la justice.
Le drapeau de l'État de New York : à gauche, la déesse de la liberté, porte une lance surmontée d'un bonnet phrygien, à droite la déesse de la justice.

Le bonnet phrygien s’exporte également en Amérique latine. “Il coiffe les nombreuses statues et images de Libertad, l’homologue latino-américaine de Marianne, précise Bernard Richard dans Les Emblèmes de la République (CNRS Éditions). Cependant, en traversant l’océan, il a largement changé de sens : il signifie moins la liberté et les principes démocratiques que l’indépendance des nouveaux États, ce qui permet aux dictateurs éventuels des XIXe et XXe siècles de le maintenir parmi les emblèmes officiels de leurs États.” Le bonnet phrygien se retrouve ainsi sur les armoiries de nombreuses républiques latino-américaines, de la République du Paraguay à celles d’Haïti et du Salvador, en passant par la Colombie. Ainsi, les Phryges, mascottes des Jeux olympiques, si elles s’avèreront sans doute mystérieuses pour la plupart des amateurs de sport en 2024, trouveront peut-être, en Amérique du Sud, quelques personnes susceptibles de les apprécier à leur juste valeur.